« Midgard. Pour les dieux et les êtres qui viennent d’ailleurs c’est un endroit d’intérêt particulier. Il y a beaucoup à découvrir, beaucoup d’endroits différents, d’autochtones différents. C’est un monde en perpétuel mouvement.
Pour les humains, c’est un endroit frustrant et d’un ennui mortel. Les pauvres sont limités et en sont conscients : chaque jour voit survenir au moins un événement contre lequel ils n’ont pas la force de lutter, tout leur est difficile et compliqué. Ils doivent inventer des machines, se regrouper par critères dans un but précis, s’organiser, etc. Un vrai défi, et ça aurait pu être un jeu très amusant et divertissant. Sauf que les humains ne peuvent pas dire « pouce » pour arrêter le jeu et aller se reposer sur le banc. Fâcheux. Frustrant.
Fondamentalement ils n’ont rien d’autre faire dans leur existence que d’attendre la mort. L’ennui les consume et ils se sont inventé un monde et des règles dans tous les sens pour se persuader que leur vie a un but. Cela les divertit, les soulage, les empêche de s’angoisser. Certains imaginent même des choses dans l’après vie pour justifier que la leur est insupportable.
Je le comprends. Pas moyen d’utiliser la magie pour faire pousser des choses comme on veut, ni faire sortir de l’eau du sol ou construire une halle en plein milieu d’un champ. Impossible de déplacer des choses trop lourdes pour nous. Impossible d’aller seul ou bon nous semble et librement sans réduire dramatiquement son espérance de vie. Impossible de se changer en oiseau pour aller espionner ce que font les voisins. Impossible également dans ce cas de se faire inviter sous un prétexte fallacieux, profiter de la table et se barrer avec les restes et deux ou trois bouteilles sous le manteau. Pas moyen de déclencher une guerre sans recevoir des dommages collatéraux. Pas moyen non plus de s’enivrer sans finir avec un terrible mal de crâne. Pas moyen d’oublier la fatigue. Pas moyen de pouvoir envoyer tout le monde valser quand on n’a pas envie de les voir sur son chemin. Frustration constante.
Sur Midgard, par exemple, on ne peut pas dormir partout où l’on souhaite. Sinon les gens vont avoir peur de vous et à certains endroits, des groupes de gens habillés de la même façon sont à même de vous contraindre de les suivre par la force dans un endroit exigu et déplaisant.
La terre n’est plus à tout le monde. Les humains l’ont divisée selon leurs règles, comme si ça pouvait avoir un sens quelconque. Certains se sont même adjugé plus de terre que d’autres et font croire à ceux qu’ils « autorisent » à marcher dessus moyennant rétribution qu’il s’agit là d’un privilège et qu’avec une rétribution supplémentaire ils seront protégés. C’est très ingénieux et ça fonctionne très bien. Cela aurait pu être de moi.
On établit ensuite des hiérarchies selon lesquelles il y a des chefs et des non chefs. Les chefs ont plus de pouvoir que les non chefs, sous prétexte que c’est pour que le système fonctionne. On prétexte des tas d’autres choses pour que les non chefs ne se posent pas de questions et continuent à obéir. C’est très astucieux. Après, certains se rangent aux côtés des chefs pour avoir un statut, une partie du pouvoir et de la richesse qui va avec tant que cela dure.
En réalité c’est plus complexe que ça, mais nous avons là tout un système complexe de règles absurdes qui rangent les humains en leur donnant un axe de vie sensé leur apporter les commandements qu’ils devraient suivre pour obtenir satisfaction. Mais on ne leur a jamais parlé de satisfaction, et là c’est grandiose, ils l’ont imaginé tous seuls. Une fois lancée, me direz-vous, jusqu’où peut aller l’imagination ?
Encore un tour dont mes chers compatriotes asgardiens sont à l’origine et qu’ils ont laissé faire. Oh, minute. Ce ne sont pas mes compatriotes, je ne suis même pas de leur sang. Ouf. Cela m’aurait peiné d’avoir participé à cette infamie. »